On sent quand on se déshabille qu'on est empreint de maladresse On a la caresses malhabile Qu'on voudrait pleine de tendresse On fait du zèle en s'embrassant On sait bien qu'il faut qu'on se montre Mais c'est un peu embarrassant Maint'nant que nos corps se rencontrent On sait pas trop où mettre ses mains Si j'effleure là, ça te chatouille Pourquoi est ce qu'il bave sur mes seins ? Pardon mais tu m'écrases les couilles On n'peux pas dire qu'on manque d'aplomb Plein d'une ardeur à toute épreuve On a quand même l'air un peu con En éprouvant nos amours neuves Toujours il y a un bras en trop Dans cette drôle de gymnastique C'est pas que je veuille être manchot Mais ce s'rait quand même plus pratique On cherche en vain notre alchimie On pousse des soupir langoureux On s'donne un cours d'anatomie un peu gênant mais savoureux On aimerait faire comme au cinoche Faire l'amour et faire des envieux Oui sauf que là, c'est une peu moche C'est quoi cette position sérieux On se rêv'rait Alain Delon Bardot, Belmondo ou Deneuve Oui mais on a l'air un peu con En éprouvant nos amours neuves On s'étonne d'la situation Et de nos pudeurs de gazelle ça m'fait penser à Mélenchon Essaye d'être plus sensuel Alors on essaye les mots doux Histoire de ranimer la flamme ô toi ma reine, ô toi mon loup Ma six fois sept, mon macadam Et on raconte n'importe quoi Maint'nant qu'on a le cœur à la fête Je lâche : t'es mon Conémera Et Merde ! J'ai Sardou dans la tête C'est vrai que c'est un peu brouillon Mais on corrig'ra les épreuves Pas grave d'avoir l'air un peu con En éprouvant nos amours neuves Notre enthousiasme nous déborde on veut d'la réjouissance grivoise Du temps pour que nos cœurs s'accordent Et pour que nos corps s'apprivoisent Aux amants extraordinaire Qui veulent surtout que ça se sache Je vous dédie ces quelques vers Gardez vot' suffisance potache Car vous ne m'ferez jamais croire Que tout est simple, qu'jamais ça tangue Dans aucune de vos histoires Mais je suis sans doute mauvaise langue En attendant, j'fait une chanson Sur l'oreiller, les idées pleuvent Je me chante un air à la con Car j'les aime bien nos amours neuves
Catégorie : poétique de l’autruche
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18. Les amours neuves
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16. La gueulante
Allez j'm'en va nous dit Monsieur Chaque soir avant la fermeture Sur le trottoir d'vant la devanture Du bar de l'avenue Montesquieu Sa main a un peu la tremblante Mais y paye sans r 'chigner l'ardoise Mets son chapeau à l'iroquoise Pis tous les soirs pousse sa gueulante Y en a marre des marabouts Qui nous tiennent par des bouts d'ficelle Y en a marre des ceusses à g'noux Y en a marre des genoux trop frêles Marre de la grêle qui nous gronde Marre des ondes dedans nos têtes Marre des étoiles au micro-ondes Marre de l'ondée dessus nos fêtes Si c'est comme ça moi je m'arrache J'reviendrais plus bandes d'apache À vouloir trop vous préserver Z'allez finir par m'énerver Monsieur nous dit Allez, j’m'en va Chaque soir pendant la fermeture Et puis il s'adosse contre le mur Pour que le mur reste bien droit La cigarette virulente Et puis la colère au poing Il cognait fort chez les voisins Pour leur chanter sa p'tite gueulante Y en a marre des marabouts Y en a marre des rabougris Marre du gris dans le ragout Y en a marre des gouts aigris Marre des écrits au cognac Marre d'l'ammoniac dans le café Marre des fées tout feu tout trac Marre des accidents de mafé Si c'est comme ça moi je m'arrache J'reviendrais plus bandes d'apache À vouloir trop vous préserver Z'allez finir par m'énerver Mais un jour on a vu monsieur Nous dire j'm'en va, et s'en aller, ça nous a fait un drôle d'effet D'un coup c'est dev'nu silencieux Puis il est r'venu d'entre les morts En disant c'est marre je reste un peu Laissez-moi une minute ou deux Juste pour pouvoir gueuler encore Y en marre des marabouts Et d'vos économies d'chandelles Faut la bruler par les debout C'est debout que la flamme est belle Y en a marre des amarantes Et des amantes à l'oeil moqueur Marre des hauteurs de la tourmente Et marre des essoufflés du coeur Marre du cœur entre deux chaises Marre des chaises de bureaucrate Y en a marre des catachrèses Des encrisées en cravate Marre de tout les va t'en guerre Marre des gens exaspérés Y en a marre d'être en colère Marre d'vous entendre soupirer Et sans adieu, et sans une tache Il partira l'dernier apache Alors m'parle pas d'me préserver Tu finirais par m’énerver
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15. Carpe Diem, mon cul !
Sûr que ça a de l'élégance Sûr que parfois ça explique l'heure Sûr que la joyeuse indolence Vaut mieux, bien sûr, que pas d'bonheur Sur qu'on ne sait pas tout sur tout Sur qu'y a des trucs qui nous échappent Sûr que qu'on est à genou Ça aide d'avoir une soupape Oui, mais voilà J'aime pas qu'on ouvre mes chakras au pied d'biches Ou qu'on découvre tout mon intime en friche J'aime pas qu'on m'gave Jusqu'à plus faim d'accord toltèque Je sens qu'on m'traite d'épave jusqu'à ce que j'sorte le carnet d'cheque Moi je préfère Taggué Carpe diem mon cul Les vainqueurs font payer Leur bonheur aux vaincus Sûr que ça a l'air scientifique Sûr qu'ils sont beaux tout leur tableur Sûr qu'une organisation pratique c'est très bon pour les travailleurs Sûr que c'est mieux l'esprit ouvert Sûr que c'est beau les mots nouveaux Sûr qu'il y a jamais de frontière Pour optimiser ton boulot Oui, mais voilà J'aime pas l'manège du manageur qui ment J'aime pas les cartes privilège qui mènent à l'enfermement J'aime pas qu'on veuille m'accomplir jusqu'à ce que je sois cadenassé Je n'aime surtout pas leur sourire que je trouve bien trop carnassier Moi je préfère Taggué Carpe diem mon cul Les vainqueurs font payer Leur bonheur aux vaincus Sûr que ça fait bien dans l'discours Sûr qu'on aspire à la même chose Sûr que le bonheur est bien court Alors faut voir la vie en rose Sûr que c'est plus agréable De n'plus être c'ui qui fais la gueule Sur que ça fait plus présentable Un mort qui sourit dans l'cercueil Oui, mais voilà J'aime pas qu'on m'empêche D'user de mes teintes pastel Jaime pas les prêches Et les dogmes du développement personnel J'aime pas les injonctions à devenir à tout prix heureux J'aurais de la satisfaction Quand on fera fondre à l'acide Cette fausse idée d'avenir radieux IL est grand temps d'changer Tous ces carpe diem qui m'écoeurent Il est temps que les vaincus fassent payer Leur bonheur aux vainqueur
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12. Tes lendemains
Souvent je les laisse au fond d'mes poches C'est pour ça qu'ma langue est d'sortie Ce n'est pas que je les trouve moches Quoiqu'un peu si Je ne les mets jamais en l'air Je me les traine à bout de bras Car je ne sais jamais quoi faire De mes dix doigts Je remets mon courage à deux mains Pour qu'aujourd'hui en vaille la peine Mettons nos joies d'hier en commun Tes lendemains dans les deux miennes Parfois pour me faire bien comprendre J'les agite devant les copains À tel point qu'ils refusent de prendre Mes coups de main J'fais des grands gestes c'est banal Souvent ça ne ressemble à rien Elles ont toujours beaucoup de mal à faire le point Je remets mon courage à demain Pour qu'aujourd'hui en vaille la peine Mettons nos joies d'hier en commun Tes lendemains dans les deux miennes Quand je me sens embarrassé Elles se tordent dans tous les sens Et elles commencent à s'embrasser Quelle indécence Elles ne sont pas vraiment adroites Particulièrement quand je fauche Elle demeure ballote et benoite Mes deux mains gauches Je remets mon courage à demain Pour qu'aujourd'hui en vaille la peine Mettons nos joies d'hier en commun Tes lendemains dans les deux miennes Et si elles ont mauvaise mine les ongles rongés jusqu'au sang C'est que l'existence me chagrine assez souvent Elles auraient besoin c'est normal D'une manucure de jouvence D'une épilation pour ce poil Quelle négligence Je remets mon courage à demain Pour qu'aujourd'hui en vaille la peine Mettons nos joies d'hier en commun Tes lendemains dans les deux miennes Alors pour se sentir utile Elle s'empare de ce bout de bois Et puis elles gratouillent malhabiles du bout des doigts Elles ne savent pas faire grand-chose d'autre Que des chansons et des refrains Elles aiment entendre claquer les vôtres Tout à la fin
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11. Drite et Mache
LE PLAGIAT
DRITE : Qu’est ce que le plagiat Mache
MACHE : Le plagiat Miche, c’est quand tu copies ou que tu voles une idée à quelqu’un.
Pause
DRITE : Mais comment, on peut voler une idée, ça n’existe pas une idée.
MACHE : Ce n’est pas parce qu’on ne voit pas quelque chose qu’elle n’existe pas. Les idées, Drite, c’est un peu comme des papillons qui volerait autour de nous ne permanence. On tend son filet, on en attrape quelques-uns, et ceux qui nous plaisent le plus, on les épingle
DRITE : Les épingles ?
MACHE : Oui, dans un grand livre, ou sous du verre pour pouvoir les admirer plus tard. Tu veux essayer d’attraper une idée Drite
DRITE : Oh, non ! C’est plus joli de les regarder papillonner.
LE CINÉMA
DRITE : Qu’est ce que tu fais, Mache ?
MACHE : Les yeux fermés je regarde un film
DRITE : Un film ? Mais qu’est ce que tu peux voir ? Tu as les yeux fermés
MACHE : Parfois, c’est avec les yeux fermés qu’on voit bien les choses
DRITE : Et là qu’est-ce que tu vois Mache ?
MACHE : Je vois, les ombres qui courent dans les rues et dans ma mémoire, les remords égarés, et les regards bleus qui inspire le désir . Je vois toutes les histoires du monde racontées tant de fois, et puis ça me rassure.
DRITE : Énervé Tu dis n’importe quoi Mache. Tu peux rien voir du tout. On ne peut pas regarder un film avec les yeux fermés !
MACHE : Parfois, Drite c’est la seule façon de faire
L’ÉVASION
DRITE : Qu’est ce que tu fais Mache ?
MACHE : Chut ! Ne fais pas de bruit.
DRITE : Tu creuses un trou ? Mais pourquoi faire ?
MACHE : Je creuse un trou pour m’évader d’ici. Silence maintenant, ils pourraient nous entendre.
DRITE : Qui ça, Mache ?
MACHE : Les mots, Drite, les mots pourraient nous entendre.
DRITE : Et alors ? Quel mal il y a si les mots nous entendent ?
MACHE : S’ils nous entendent, alors ils pourraient vouloir nous faire parler.
Drite réfléchit
DRITE : Je creuse avec toi, mâche
LE BEAU
DRITE : Que c’est beau !
MACHE : qu’est-ce que tu trouves beau Drite ?
DRITE : Le paysage devant nous, je trouve qu’il est beau
MACHE : Oui, mais qu’est ce que tu trouves beau exactement ? La couleur du ciel, le mouvement de l’eau ? La forme des nuages ?
DRITE : Je ne sais pas Mache, un peu tout je pense. Pourquoi tu me demandes ça ?
MACHE : Parce que si je savais exactement ce qui est beau, je pourrais ainsi le recréer à chaque fois que je veux voir quelque chose de beau, je pourrais même le vendre, et puis…
DRITE : Regarde le paysage Mache
L’HORIZON
DRITE : Voilà, la ville, la forêt, les champs de blé, puis la rivière, et là-bas loin à l’horizon, il y a …
MACHE : L’horizon, qu’est ce que c’est ?
DRITE : L’horizon, c’est l’inatteignable
MACHE : L’inatteignable, mais comment on fait pour y aller ?
DRITE : Tu ne peux pas. L’horizon, c’est la lisière des choses. Un endroit qui n’existe pas, mais qu’on voit quand même.
MACHE : C’est l’inverse du vent en fait. Le vent existe et pourtant on ne le voit pas.
DRITE : C’est tout à fait ça.
Silence
MACHE : Mais le vent, lui, il peut y aller jusqu’à l’horizon. Qu’est ce qu’il y a là bas ?
DRITE : Là où le vent et l’horizon se rencontrent, Mache, c’est là que vit l’espoir.
LA FÊLURE
DRITE : Merde !
MACHE : Qu’est-ce qu’il y a Drite ?
DRITE : J’ai laissé tomber ma tasse. Elle est cassée maintenant. Mais c’était ma tasse préférée.
MACHE : Ce n’est pas grave Drite, tu n’as qu’à la recoller.
DRITE : Mais ce ne sera pas la même chose. Il y aura toujours une marque. Une cicatrice. Et ça me rappellera toujours qu’elle a été cassée.
MACHE : Et pourtant parfois tu sais, ça embellit
DRITE : Quoi ?
MACHE : Les fêlures.
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9. Le problème avec Ryan Gosling
Le problème avec Ryan Gosling
- Le problème avec Ryan Gosling, c’est que je n’arrive pas à croire qu’il existe. Pourtant j’ai vu des films avec lui et tout, mais rien à faire, je n’arrive à l’imaginer dans la vie. Je sais pas genre en train de bouger, en train de sourire, en train de manger. Je ne sais pas pourquoi. J’ai l’impression que ce mec n’est qu’une image. Tiens, rien que sa voix, je n’y arrive pas. Je veux dire, je sais qu’il parle, je sais que des mots sortent de sa bouche, je sais qu’il dit des répliques, je comprends le sens des phrases, je comprends le rôle dans le film, tout ça mais je n’arrive pas à croire qu’il parle. Je ne lui entends aucune voix, si te veux. Pourtant, je l’ai entendu chanter dans Lalala land, et même pas très bien j’ai trouvé. Je peux même dire que je préférais quand il chantait mal dans Blue Valentine. Je peux avoir un avis sur la voix de Ryan Gosling, je peux choisir, préférer. Mais je n’arrive pas à l’entendre quoi. Quand je pense à Ryan Gosling, c’est un peu vide. C’est étrange non ? Qu’est ce que tu en dis toi ? T’en parlerais au psy à ma place ?
Il avait dit ça nonchalamment, ni par inquiétude, ni par ennui, mais sincèrement, juste comme ça, pour avoir l’avis de l’autre. L’autre qui, l’air de rien, pour pas déranger, commençait gentiment à trépigner, et à penser à autre chose, parce que c’est vrai, il y a autre chose à penser dans la vie qu’à l’existence ou non de Ryan Gosling après tout, il y a les projets à avancer, les rendez-vous à honorer, les pulsions à combler d’une manière ou d’une autre et tout le bordel de la sociabilité, et on sait bien que tout le monde se fout de Ryan Gosling, ce n’est même pas une pensée pertinente mais on veut rester poli, alors on écoute. Et on incline la tête comme par assentiment, mais en réalité, c’est une supplique pour abréger la conversation.
- Tiens, c’est pas pour enfoncer le clou, mais genre, le gars il a toujours, mais toujours la même tête. Et tu sais le pire dans cette histoire ? C’est que je comprends pourquoi ça m’obsède autant. Je n’ai même pas d’avis sur Ryan Gosling, je m’en fous. Qu’est-ce que ça peut bien me faire au fond que Ryan Gosling existe ou non ? Rien, absolument rien. Et pourtant, j’y pense, j’y pense parce que je me dis que ce gars a des collaborateurs, des gens avec qui il travaille, des amis avec qui il boit des coups, enfin des gens quoi. Mais je n’y arrive pas. Y a comme une espèce de blanc. C’est vraiment étrange. Je pense que c’est parce que l’autre jour, on a reçu un texto. C’était l’ancien psy qui voulait que je lui laisse une note et un avis sur Google à propos de mon chemin thérapeutique avec lui, et je me suis demandé : qu’est-ce qu’on peut bien laisser comme avis sur son psy ? Je veux dire, c’est étrange non ? C’est vachement intime ce qu’on raconte à un psy, du coup, impossible de m’imaginer un avis à laisser. Ou si. Mais alors des avis comiques du genre : « Analyse basée sur la méthode win/win. Je soigne ma dépression en comblant ses besoins narcissiques ». Ou encore un grand message blanc avec écrit en bas en tout petit : « A réussi à me redonner confiance en moi ». Je trouvais ça hyper drôle. Puis j’ai évité de le poster parce que j’avais peur qu’il m’appelle pour m’engueuler et pour me rappeler que l’humour était un mécanisme de défense pour tenir les autres à distance. Et en songeant à ça, je me suis dit que décidément je m’empêchais de faire plein de trucs par culpabilité, parce que, s’il faut, il aurait trouvé ça drôle en fait. Je présuppose beaucoup des réactions des gens, tu trouves pas ? D’ailleurs, c’est lui qui m’a ouvert les yeux à propos de ça, alors forcément, je voulais plus me moquer. J’ai pensé à cet avis tout blanc, et c’est là que j’ai dû commencer à me rendre compte que cette absence d’idée, ben c’était exactement ça, le problème avec Ryan Gosling. Enfin, tu comprends ça, j’imagine.
Bien entendu que l’autre comprenait ça. Ça faisait des années qu’il le comprenait bien. Il comprenait ça tellement bien qu’il ne comprenait pas pourquoi il était en train de s’infliger ça. Pourquoi s’encombrer la tête avec Ryan Goslin alors que la vie est vaste après tout. Il est mille chemins inexplorés, mille incertitudes à affronter, mille espoirs et mille doutes à traverser. Plutôt que de rester sur cette histoire d’absence, il faudrait se lever, pour aller affronter tout ça à nouveau, pour se retirer Ryan Gosling de la tête. Haut les cœurs, courage au ventre et sonnons la charge, bordel de merde. Mais non, faut rester là, à l’écouter délirer sur les notions de vide et d’existence d’un acteur dont il n’a vu au fond que deux ou trois films. Alors, tu comprends, la vraiment je peux plus rester, il est temps pour moi d’y aller, c’est comme ça, je dois prendre mon tour quoi, on va pas passer la nuit là-dessus.
- Oui bien sûr, excuse-moi je te mets pas en retard, mais comme ça me trotte, j’ai besoin d’en parler pour m’en débarrassé tu comprends. Je sais bien que tu n’as pas le temps, que pour toi tout ça ça recommence, mais faut prendre du temps aussi parfois pour du futile. Pour les interrogations de nulle part, c’est peut-être là-dedans que parfois né l’imaginaire, tu ne crois pas ? Non bien sûr, tu crois pas à ça toi, trop rationnel, trop dans tes plans, dans tes organisations. Regarde-moi, tout rempli de culpabilité et de mise à distance de l’autre, bien sûr que j’ai commencé comme ça. Mais tu as beau tout organiser bien avec des post-its de couleur et des effaceurs de stabilo, ben tu te retrouves fatalement par t’interroger sur l’existence de Ryan Gosling. Qu’est ce que tu veux que je te dise. Ça te paraît pas incroyable, ce milliard de choses futile qui te traverse la tête. Tu crois pas que y a quelque chose là-dedans. Un truc dont tu pourrais peut-être parler à ton nouveau psy. Tu pourrais lui demander à lui aussi s’il veut un avis, tiens ! En espérant que deux avis positifs ne font pas un avis inconscient. Non tu peux pas comprendre c’est des blagues de mathématicien-psychanalyste. Oui d’accord, moi non plus je sais pas ce que ça veut dire mais je suis pas mathématicien-psychanalyste. Je suis même pas sûr que ça existe vraiment. Pourtant ça ferait un métier du tonnerre. On psychanalyserait les nombres et les chiffres. Le 8 là, qui est probablement un maniaque. Le 4, pervers narcissique. Et le sept… un névrosé de première. Sans parler du zéro. Bref, je sais pas te le dire autrement, mais c’est ça, le problème avec Ryan Gosling.
La plupart du temps, je ne pense pas à Ryan Gosling. Oui, mais parfois mon dimanche soir parle avec mon lundi matin.
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8. Technicolor
Vert carmin Rouge bouteille et jaune souris Le matin J'veux pas voir le monde en gris J'imagine Sentir tes soupirs rougir Toi, sanguine Moi, daltonien du désir J'ai encore des éclats De couleurs mais parfois Le temps s’essouffle et s'éteint Blanche est la chevelure Dans les premières fêlures Du grand miroir d'étain Le soleil Qui caresse ton visage Or vermeil Un rayon rate son virage Et me touche Dans l’œil, il me faut m'enfuir Sainte nitouche Moi, daltonien du désir J'ai encore des éclats de couleurs mais parfois Le temps s’essouffle et s'éteint Blanche est la chevelure Dans les premières fêlures Du grand miroir d'étain C'est étrange J'ai pas l'sens de l'esthétique J'suis orange Dans mes nuit blanches éléctriques J'suis perdu J'crois que je me sens bleuir J'suis écru Moi, daltonien du désir J'ai encore des éclats De couleurs mais parfois Le temps s’essouffle et s'éteint Blanche est la chevelure Dans les premières fêlures Du grand miroir d'étain Et j'éclate J'ai plus la notion de l'heure Écarlate J'vois mille et une couleur Apparaitre Me pigmenter le zéphyr Pour plus être Un daltonien du désir Fermer enfin les yeux Pour voir bien pour voir mieux les couleurs du dessin Prendre le temps encore D'voir en technicolor Et sans miroir d'étain
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6. Une Histoire
Une Histoire
À Sally… Et à Marième aussi un peu.
J’ai voulu raconter une histoire. L’histoire d’un petit caillou tout pointu, tout pointu, qui rêverait d’être un beau galet tout rond pour faire des ricochets. Le caillou tout pointu rêverait de faire des ricochets, mais les autres cailloux lui ont dit « ben non tu peux pas faire des ricochets, tu es juste un caillou tout pointu, alors que pour faire des ricochets, il faut être un beau galet tout rond, les cailloux tout pointus comme toi, personne ne les prend pour faire des ricochets. Pour ça il faudrait que tu attendes, attendes que la pluie et le vent te lissent, te polissent, et délissent, faut que tu attendes que tes angles s’arrondissent si tu veux être un beau galet tout plat pour faire des ricochets. Alors le petit caillou, vous savez ce qu’il fait ? Et bien, le petit caillou, il attend.
Non, m’a dit Sally. Non, ça, c’est trop triste. C’est dans longtemps, on sera mort. Alors, je n’ai pas raconté cette histoire.
J’ai voulu raconter l’histoire de M.Amar qui à chaque fois qu’il revient du marché, fait dix pas puis pose ses sacs, s’arrête pour prendre son carnet, et note une idée. Et tous les gens qui le voient partir du marché, regardent monsieur Amar tous les dix pas, poser ses sacs, sortir son petit calepin, et noter une idée. Et les gens se demandaient : mais qu’est-ce que M.Amar, tous les dix pas, peut noter comme idée ? On ne lui connaissait aucune passion dévorante ni d’appétit littéraire. Mais chaque fois, avec ses sacs, tous les dix pas, crac, carnet. Un jour monsieur Amar est mort. Comme il n’avait pas d’enfant, les gens du quartier, curieux, ont aidé à débarrasser la maison dans l’espoir de retrouver les petits carnets de monsieur Amar pour savoir ce que tous les dix pas, crac, il notait. À vrai dire, on a fini par comprendre que M Amar les brûlait au fur et à mesure. Certains pensent qu’il s’agit probablement d’un chef d’œuvre, d’autres que M Amar avait simplement la sciatique et ne voulait pas le montrer aux gens du quartier. Mais ces gens-là ne connaissent rien à rien, ni à la littérature, ni à la sciatique et encore moins aux petits carnets.
Non m’a dit Sally. Non quand on ne sait pas c’est frustrant. Il n’y a pas d’étincelle. Alors je n’ai pas raconté cette histoire.
J’ai voulu raconter l’histoire d’un homme dans une chambre qui vivait avec un remords. Un immense remords. Il avait promis il y a longtemps, très longtemps à une fille dont il était amoureux de l’emmener au Portugal, à Viana do Castelo, et l’emmener sur la pointe la plus avancée. Il voulait faire tout ça parce qu’il avait promis qu’on pouvait voir l’Amérique depuis le Portugal. Et l’homme dans sa chambre contemple son remords, le voyage à Viana do Costelo qu’ils n’avaient jamais fait, alors c’était la fille qui était partie avec le temps, le temps ce salaud qui vous souffle toutes vos amours si vous lui laissez trop de place. Il n’avait jamais apporté la preuve qu’on pouvait voir l’Amérique depuis le Portugal, et il vivait avec cette absence de preuve comme un remords. Il n’avait jamais apporté la preuve qu’on pouvait voir l’Amérique depuis le Portugal. Tout simplement parce qu’on ne peut pas.
Non m’a dit Sally. Non quand on sait tout, c’est frustrant. Il n’y a plus de possible. Alors je n’ai pas raconté cette histoire.
J’ai voulu raconter l’histoire de Charles « One eyed Charlie» McRory, tête d’irlandais dur comme de la pierre , qui n’avait qu’un oeil, mais qui boxait mieux que Dieu avec les deux. Il voyait tout, cet homme-là depuis qu’il avait perdu la moitié de la vue. Il disait « comme ça, je ne vise que l’essentiel ». Pas moyen de le surprendre, de lui allonger une droite. Il ne frappait pas fort, mais à la longue, il les avait tous, y en a pas un dans sa catégorie qui pouvait le toucher. Il disait, pas besoin d’un bon punch quand tu sais esquiver. Il disait : pas besoin d’esquiver si tu es déjà à la bonne place avant même que l’autre ne fasse partir son coup. One eyed Charlie, soixante-sept kilos, 48 combats, 47 victoires aux points, 1 défaite par KO. Il n’a perdu qu’une seule fois. Même pas contre un boxeur professionnel non. Contre le pianiste du Murphy’s. En plus, ce n’était même pas sur un ring, c’était dans l’arrière-cour, quand One eyed Charlie un peu trop bourré avait voulu régler son compte à « Blindie Jack » parce qu’il refusait de jouer A rocky road to Dublin. Blindie Jack comme son nom l’indique, était aveugle. Et on raconte qu’après l’avoir étalé dans l’arrière-cour, Blindie Jack a dit à One eyed Charlie : « Tu ne vois que l’essentiel, mais l’essentiel, c’est déjà trop ».
Non m’a dit Sally. Non, il ne faut pas qu’à la chute de l’histoire, quelqu’un se retrouve au tapis. Il faut chuter comme une feuille. Simplement et avec élégance. Alors je n’ai pas raconté cette histoire.
J’ai voulu raconter l’histoire d’un écrivain qui fumait plus qu’une entreprise de traitement des déchets, et qui pour se motiver à écrire, se roulait une clope devant sa page blanche, puis se disait, mille mots, dans mille mots tu peux fumer, mais écrit d’abord tes mille mots. Parce que l’écriture n’est pas une question de qualité, mais de quantité, il faut écrire et réécrire un bon millier de fois avant de pouvoir sortir quelque chose de correct. Alors, sa clope roulée à côté de sa feuille blanche, il écrivait ses mille mots, les uns après les autres. De mille mots en mille mots, il a fini par faire un roman, puis deux puis trois. Il a rencontré un éditeur et puis le succès dans la foulée. Il a commencé à faire attention à sa santé, il s’est décidé à arrêter de fumer, mais il a gardé pour lui la dernière cigarette à portée de sa feuille blanche pour se motiver à écrire mille mots. C’était sa petite tradition. Il ne fumait pas, mais il gardait sa cigarette, et le briquet. Pour se rappeler qu’il faut écrire comme une envie de fumer. Bien sûr, il a perdu la cigarette. Et le briquet. Mais ce jour-là, il a ouvert sa page blanche, et il a raconté sa cigarette, et il a raconté son briquet, et il a raconté les mille fois mille mots qu’il avait écrits comme on fume.
Non m’a dit Sally, il ne faut pas commencer par l’habitude. C’est trop près, ça me fait peur.
J’ai voulu raconter l’histoire de Mac et Max qui s’aimaient depuis leur tendre enfance, et qui sont restés amoureux toute leur vie sans jamais un moment de doute. Et quand on leur a demandé quel était leur secret, ils ont répondu, « c’est qu’on s’emmerde très lentement. » J’ai voulu raconter l’histoire de Petit Jean et d’une fourmi qui firent la course pour savoir qui toucherait la lune en premier. Et qu’on n’a jamais su qui avait gagné. J’ai voulu raconter l’histoire d’un homme qui se trimballait toujours avec sa conscience sur son épaule droite ce qui lui faisait courber le dos, et lui donner une silhouette abattue. J’ai voulu raconter l’histoire d’un homme qui aurait voulu savoir dessiner un arbre, mais qui ne savait pas s’il fallait commencer par les feuilles, le tronc ou les racines, et selon l’avis de chacun, il recommençait en permanence.
Mais Sally ne voulait pas. Sally ne voulait pas d’histoire avec trop de mots. Sally ne voulait pas d’histoire qui finirait dans longtemps, elle ne voulait pas d’histoire qui joue avec le temps, qui joue de ces personnages. Sally ne voulait pas d’histoires pleine de silence et de non-dit, d’histoires pleine de souffrance ou de « on dit ».
Alors ce jour-là, je ne lui ai pas raconté d’histoire. Je lui ai offert une glace au chocolat. Elle l’a goûté et m’a dit : oui, cette histoire-là, elle est bonne ».