‘Dmettons un homme. Sur le quai d’une gare. En train de fumer une cigarette. Et tant qu’à faire pour aller dans le cliché, ‘dmettons qu’il a un chapeau mou, un pardessus gris et l’air chiffonné. Tant qu’à y aller, autant le faire carrément. Et rajoutons une clarinette jazz par-dessus. Pas peur. Un truc à la Sydney Bechett. Pas vraiment triste mais nostalgique un peu. Pis ‘dmettons que ce soit en noir et blanc. Genre film noir de la grande époque. Que de temps en temps, il jette un oeil vers l’horizon. Et pis il mate sa montre aussi. C’est le genre de détails en général qui en rajoute. Qui rajoute quoi à quoi, on ne sait pas mais on se dit que ça en rajoute, alors c’est tout ce qui compte.
On se dit, il attend quelqu’un, une femme certainement. On se dit, elle doit prendre le train avec lui, il lui a donné rendez-vous. Mais le train va arriver et la femme n’est pas là. Alors, ça le chiffonne. Alors, il fume. ‘Dmettons. C’est la fin du film, on en est certain. La fille va finir par se pointer. Ou ne pas se pointer. La différence entre tragédie et comédie. La fille se pointe ou non et on sait à quel genre le film appartient. ‘Dmettons que la fille se pointe. On se dit qu’on est dans une comédie.
Sauf que… ‘Dmettons que la fille n’est pas en robe rouge, mais en combinaison spatiale. Genre ultra moderne. Avec des boutons qui clignotent. Et des antennes. Super important ça, les antennes. Ça en rajoute. On se redresse un peu dans son fauteuil, on se dit tiens original, je ne l’ai pas vu venir. On se dit, bon en fait c’est un classique du film de S.F. Un truc de voyage dans le temps sûrement. Et la fille en combinaison spatiale est en fait la fille de l’autre, de celle que l’homme attend. Bon. ‘Dmettons. Elle a un message à transmettre. Mais voilà qu’elle se met à courir. La fille court vers l’homme de la gare comme pour le prévenir d’un danger. Elle crie. ‘Dmettons que l’homme se retourne. Là il dégaine un colt qu’on n’avait pas encore vu. Et il tire sur des confédérés en tenues grises cachées sur les toits. Il laisse parler la poudre. Y a des morts partout. Qui tombent du train. On se dit, comment ils vont faire après pour le train. Ça va être dégueulasse s’ils doivent rouler dessus après pour partir.
Mais ils ne partent pas. L’homme regarde la fille qui est aux prises avec une bombe atomique que les confédérés avaient amenée avec eux. Et il ne leur reste plus que trois minutes avant que la bombe explose. On se dit que trois minutes, ce n’est pas bien long, mais que normalement ils devraient avoir le temps. ‘Dmettons.
La fille en combinaison spatiale met les fils à nu. Elle va très vite pour les dégager mais l’horloge tourne. L’homme au pardessus gris lui doit maintenant faire face aux confédérés qui se sont relevés d’entre les morts. On se dit, ouf, pour le train ce sera plus simple, c’est toujours ça de réglé. L’homme au pardessus affronte les zombies avec une tronçonneuse. On se dit qu’il a dû astucieusement la planquer dans son pardessus justement. ‘Dmettons.
Pendant ce temps, la fille finit par désamorcer la bombe et vu que l’homme n’a pas l’air de s’en sortir, elle appelle à la rescousse tout son équipage. ‘Dmettons qu’en fait elle était capitaine d’une bande de pirates de l’espace, ce qui explique sa tenue. Et grâce à son pistolet laser, elle finit par abattre tous les zombies. Mais la bombe qu’elle croyait avoir désamorcée relâche une énorme fumée. C’est le génie de l’atome qu’ils ont relâché malgré eux. Faut toujours une péripétie finale avec un méchant encore pire que les précédents. C’est normal. Ça en rajoute. L’homme et la femme sont obligés de mettre en commun leurs forces telluriques pour arriver, après une série d’incantation fort complexes et intranscriptibles, à enfermer le génie de l’atome dans une bouteille, qu’ils vont jeter à la mer. On se dit qu’ils n’ont pas conscience des conséquences terribles que ça pourrait avoir sur l’avenir. ‘Dmettons qu’un naufragé trouve cette bouteille. Ce serait désastreux. Mais on se dit que d’ici une heure ou deux, ce seront peut-être eux les naufragés, donc pas de raison de s’en faire. La preuve, c’est qu’ils ont pris le train. On n’est jamais à l’abri d’un accident des chemins de fer, c’est vrai. Mais pas avant le goûter ça c’est certain. On se dit que les compagnies de chemin de fer prévoient drôlement bien leurs accidents.
On se lève, on se demande un peu comment ça va finir. Mais on se dit qu’en fin de conte, ils vécurent enfants et firent beaucoup d’heureux.