MACHE : Le plagiat Miche, c’est quand tu copies ou que tu voles une idée à quelqu’un.
Pause
DRITE : Mais comment, on peut voler une idée, ça n’existe pas une idée.
MACHE : Ce n’est pas parce qu’on ne voit pas quelque chose qu’elle n’existe pas. Les idées, Drite, c’est un peu comme des papillons qui volerait autour de nous ne permanence. On tend son filet, on en attrape quelques-uns, et ceux qui nous plaisent le plus, on les épingle
DRITE : Les épingles ?
MACHE : Oui, dans un grand livre, ou sous du verre pour pouvoir les admirer plus tard. Tu veux essayer d’attraper une idée Drite
DRITE : Oh, non ! C’est plus joli de les regarder papillonner.
LE CINÉMA
DRITE : Qu’est ce que tu fais, Mache ?
MACHE : Les yeux fermés je regarde un film
DRITE : Un film ? Mais qu’est ce que tu peux voir ? Tu as les yeux fermés
MACHE : Parfois, c’est avec les yeux fermés qu’on voit bien les choses
DRITE : Et là qu’est-ce que tu vois Mache ?
MACHE : Je vois, les ombres qui courent dans les rues et dans ma mémoire, les remords égarés, et les regards bleus qui inspire le désir . Je vois toutes les histoires du monde racontées tant de fois, et puis ça me rassure.
DRITE : Énervé Tu dis n’importe quoi Mache. Tu peux rien voir du tout. On ne peut pas regarder un film avec les yeux fermés !
MACHE : Parfois, Drite c’est la seule façon de faire
L’ÉVASION
DRITE : Qu’est ce que tu fais Mache ?
MACHE : Chut ! Ne fais pas de bruit.
DRITE : Tu creuses un trou ? Mais pourquoi faire ?
MACHE : Je creuse un trou pour m’évader d’ici. Silence maintenant, ils pourraient nous entendre.
DRITE : Qui ça, Mache ?
MACHE : Les mots, Drite, les mots pourraient nous entendre.
DRITE : Et alors ? Quel mal il y a si les mots nous entendent ?
MACHE : S’ils nous entendent, alors ils pourraient vouloir nous faire parler.
Drite réfléchit
DRITE : Je creuse avec toi, mâche
LE BEAU
DRITE : Que c’est beau !
MACHE : qu’est-ce que tu trouves beau Drite ?
DRITE : Le paysage devant nous, je trouve qu’il est beau
MACHE : Oui, mais qu’est ce que tu trouves beau exactement ? La couleur du ciel, le mouvement de l’eau ? La forme des nuages ?
DRITE : Je ne sais pas Mache, un peu tout je pense. Pourquoi tu me demandes ça ?
MACHE : Parce que si je savais exactement ce qui est beau, je pourrais ainsi le recréer à chaque fois que je veux voir quelque chose de beau, je pourrais même le vendre, et puis…
DRITE : Regarde le paysage Mache
L’HORIZON
DRITE : Voilà, la ville, la forêt, les champs de blé, puis la rivière, et là-bas loin à l’horizon, il y a …
MACHE : L’horizon, qu’est ce que c’est ?
DRITE : L’horizon, c’est l’inatteignable
MACHE : L’inatteignable, mais comment on fait pour y aller ?
DRITE : Tu ne peux pas. L’horizon, c’est la lisière des choses. Un endroit qui n’existe pas, mais qu’on voit quand même.
MACHE : C’est l’inverse du vent en fait. Le vent existe et pourtant on ne le voit pas.
DRITE : C’est tout à fait ça.
Silence
MACHE : Mais le vent, lui, il peut y aller jusqu’à l’horizon. Qu’est ce qu’il y a là bas ?
DRITE : Là où le vent et l’horizon se rencontrent, Mache, c’est là que vit l’espoir.
LA FÊLURE
DRITE : Merde !
MACHE : Qu’est-ce qu’il y a Drite ?
DRITE : J’ai laissé tomber ma tasse. Elle est cassée maintenant. Mais c’était ma tasse préférée.
MACHE : Ce n’est pas grave Drite, tu n’as qu’à la recoller.
DRITE : Mais ce ne sera pas la même chose. Il y aura toujours une marque. Une cicatrice. Et ça me rappellera toujours qu’elle a été cassée.
MACHE : Et pourtant parfois tu sais, ça embellit
DRITE : Quoi ?
MACHE : Les fêlures.
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– Au fait, je t’ai pas raconté ? Il est arrivé un truc vachement marrant.
Au téléphone, je me suis un peu raidi. Je ne suis pas toujours sûr de goûter l’humour de Charlotte. Pas que ce soit trash ou vulgaire, non, non, rien de ce genre-là. Disons que Charlotte avait le regard aiguisé pour repérer ces petites choses de la vie qui la soulevaient jusque dans le ravissement le plus complet, quand elles avaient tendance à me plonger dans la déprime la plus ordinaire.
– Marie l’autre jour, elle était à Emmaüs, pour racheter un canap. Enfin un truc d’angles il me semble. Enfin tu vois quoi, elle était à Emmaüs. Donc elle fait un tour dans le rayon musique, et là devine quoi ? Elle tombe sur ton CD. Ton CD. Dingue non ?
Et voilà. J’en étais sûr. Putain de petites choses de la vie. Chaque fois, ça le fait. Je colle ma main sur le téléphone le temps de prendre une profonde inspiration et je réponds de façon la plus badine possible.
– Oui marrant
C’est vrai que c’est drôle de penser que ces chansons que j’ai écrites pour certaines y a plus de dix ans, enregistré y a quoi cinq ou six ans, puis vendu à la fin des concerts, pour la plupart à des familles dont on n’était pas vraiment sûr que les enfants comme les parents aient compris le sens des textes, pour finir probablement après un grand ménage de printemps, dans les caisses d’un Emmaüs, permettant ainsi curieusement de soutenir à nouveau des personnes précaires, car à l’époque putain j’étais bien content de gagner mes dix balles en vendant un C.D, d’ailleurs, je crois bien que c’est encore le cas maintenant, et puis une chose en entraînant une autre de commencer à s’imaginer l’incroyable système économique du marché de l’occasion, de cette deuxième vie qu’on donne aux objets, de se rendre compte que c’est beaucoup d’information d’un coup, de se rendre compte que puisque cet objet a une deuxième vie, c’est qu’il est mort une première fois, et on a pas le temps de faire son deuil, que déjà c’est le renouveau, c’est le printemps qui éclot autour quand on a encore le cœur à l’hiver, on se rend compte que c’est étrange, cette langueur où s’emmêlent résilience et enthousiasme, ce lieu qui n’est pas un rapport de force avec autrui ou avec nous-mêmes, qu’on appelle la tendresse, peut être, selon Gérard Phillipe. Alors oui, Charlotte, oui c’est marrant, si tu veux.
– C’est incroyable non ? Ben alors t’en dis quoi ? Tu dis rien là. À quoi tu penses ?
Je pense Charlotte que ce CD que je vendais dix balles à la fin de mes concerts, ce qui était une fortune pour moi, doit maintenant être vendu cinquante centimes. Mais que curieusement, quelqu’un l’a jugé suffisamment bien conservé et intéressant pour pouvoir être vendu cinquante centimes, ce qui est beaucoup ou bien peu, selon qu’on le compare aux standards de rétribution des plateformes de streaming ou à l’amour que je leur porte. C’est vrai, ce n’est rien, mais c’est inestimable, alors tu comprends bien que finalement le prix qui est affiché m’importe peu : cinquante centimes ou un euro qu’est ce que ça peut faire ? D’autant que tu m’engueulais déjà quand je vendais mon C.D à dix ou mon bouquin à douze. C’est aussi comme ça qu’on tue la solidarité de la profession que tu me disais, et t’avais pas tort. Non, moi tout ce que je me demande c’est ce que ces chansons vont devenir.
– Avoue ça fait un peu plaisir quand même.
J’avoue, ça fait plaisir un peu. Y a quelqu’un un jour qui a décidé que ce CD ne lui correspondait plus, mais qui l’a trouvé suffisamment valable pour le donner et non pas le jeter aux recyclages ou en faire miroir aux alouettes, ce qui dans un sens aurait était une fin encore plus convenable, formidable métaphore de l’objet lui-même, quintessence de la forme et du fond , merde, j’ai ma métaphysique qui me reprend, ce n’est rien ça va passer, là c’est passé, tu sais comme dans Cyrano, cet écrivain de l’ombre noire laissant d’autres cueillir le baiser de la gloire. Tiens, tu savais que Walt Whitman, un jour alors qu’il se promenait sur le port, a entendu un marin chantait une chanson dont les paroles étaient un de ces poèmes. Et quand il a demandé au marin qui avait écrit la chanson, le marin a répondu que c’était une vieille chanson populaire. Et Whitman s’est cassé tout heureux d’avoir vu un poème s’échapper. Et je ne peux m’empêcher de penser que ça a quand même plus de gueule que d’avoir son Cd retrouvé au fin fond d’un bac de la discothèque de l’Emmaüs de Labarthe sur Lèze ?
– D’ailleurs, j’espère que tu as fini par déposer tes chansons. Imagine un type tombe dessus, et pof il te repompe tout, et là franc succès. Les boules non ? Un peu comme ce film, là, avec le type qui finit par avouer que ce n’est pas lui c’est l’autre ? Rahg j’arrive jamais en m’en rappeler. Ça ne te dit rien.
Là Charlotte, je suis surtout en train de me plonger sur cette incroyable dichotomie entre l’occase et l’antique qui serait une assez belle métaphore de la lutte des classes. Mais pour répondre à ta question, non j’ai toujours pas déposé mes chansons, les quatre feuillets Sacem sont sur le haut de ma pile de choses à faire, mais rien n’y fait, je n’y arrive pas encore. Et non, le film, ça ne me dit rien, par contre ça me rappelle l’histoire du chanteur de Lynyrd Skynyrd qui un jour en conduisant le van a entendu une musique à la radio et à fait au groupe « C’est bien ça, c’est qui ? « . Et en fait c’était lui, il était juste tellement déchiré pendant la création de l’album qu’il ne s’en rappelait plus. Malgré tout, ça aussi ça a plus de gueule, ce n’est pas un printemps précoce dans ce cas là, c’est plutôt un retour de retour de printemps.
– Tu ne l’as toujours pas fait ? Mais ce n’est pas vrai ça. Ça a du sens quand même, non ? Même en créative commons. T’es pas obligé d’aller à la Sacem, c’est pas moi qui t’y pousse, loin de là.
Oui bien sûr que ça a du sens. Ça a du sens pratique, c’est un système moins mauvais que pas mal d’autres pour assurer la protection des précaires, en l’occurrence là des auteurs, et oui je suis pour, complètement pour, vive que les gens ne soient pas précaire. Vive qu’on reconnaisse leur travail. Seulement voilà, moi, je n’aime pas signer, j’ai le droit aussi non ? Et ce n’est pas de la pudeur, ou de la fausse candeur, de la fausse modestie. Je n’aime pas signer parce que je trouve ça un peu vaniteux, et donc dérisoire. C’est vrai signer, c’est touchant, profondément humain. Dans les signatures, bien sûr j’y vois de la fierté pour la sueur, j’y vois l’orgueil nécessaire à l’amour propre, mais j’y vois aussi de la détresse, comme quelqu’un qui s’accroche désespérément à sa branche, pour donner un sens aux choses, un sens à la vie.
Alors parfois, parfois ça me prend, et j’ai du mal à signer. C’est que parfois, j’oublie que je m’en fous.
Oui, je m’en fous au fond que mes chansons finissent à l’apogée d’un zénith ou sur le trottoir aux alouettes. Si j’écris tous azimuts, c’est bien parce que c’est la seule direction que je peux emprunter.
D’ailleurs, j’en ferais bien une chanson.
Un Illustre Inconnu
Post-scriptum : Vous l’aurez compris, ce Bradbury n’a d’intérêt que parce que je peux me faire éhontément de la pub.
Le problème avec Ryan Gosling, c’est que je n’arrive pas à croire qu’il existe. Pourtant j’ai vu des films avec lui et tout, mais rien à faire, je n’arrive à l’imaginer dans la vie. Je sais pas genre en train de bouger, en train de sourire, en train de manger. Je ne sais pas pourquoi. J’ai l’impression que ce mec n’est qu’une image. Tiens, rien que sa voix, je n’y arrive pas. Je veux dire, je sais qu’il parle, je sais que des mots sortent de sa bouche, je sais qu’il dit des répliques, je comprends le sens des phrases, je comprends le rôle dans le film, tout ça mais je n’arrive pas à croire qu’il parle. Je ne lui entends aucune voix, si te veux. Pourtant, je l’ai entendu chanter dans Lalala land, et même pas très bien j’ai trouvé. Je peux même dire que je préférais quand il chantait mal dans Blue Valentine. Je peux avoir un avis sur la voix de Ryan Gosling, je peux choisir, préférer. Mais je n’arrive pas à l’entendre quoi. Quand je pense à Ryan Gosling, c’est un peu vide. C’est étrange non ? Qu’est ce que tu en dis toi ? T’en parlerais au psy à ma place ?
Il avait dit ça nonchalamment, ni par inquiétude, ni par ennui, mais sincèrement, juste comme ça, pour avoir l’avis de l’autre. L’autre qui, l’air de rien, pour pas déranger, commençait gentiment à trépigner, et à penser à autre chose, parce que c’est vrai, il y a autre chose à penser dans la vie qu’à l’existence ou non de Ryan Gosling après tout, il y a les projets à avancer, les rendez-vous à honorer, les pulsions à combler d’une manière ou d’une autre et tout le bordel de la sociabilité, et on sait bien que tout le monde se fout de Ryan Gosling, ce n’est même pas une pensée pertinente mais on veut rester poli, alors on écoute. Et on incline la tête comme par assentiment, mais en réalité, c’est une supplique pour abréger la conversation.
Tiens, c’est pas pour enfoncer le clou, mais genre, le gars il a toujours, mais toujours la même tête. Et tu sais le pire dans cette histoire ? C’est que je comprends pourquoi ça m’obsède autant. Je n’ai même pas d’avis sur Ryan Gosling, je m’en fous. Qu’est-ce que ça peut bien me faire au fond que Ryan Gosling existe ou non ? Rien, absolument rien. Et pourtant, j’y pense, j’y pense parce que je me dis que ce gars a des collaborateurs, des gens avec qui il travaille, des amis avec qui il boit des coups, enfin des gens quoi. Mais je n’y arrive pas. Y a comme une espèce de blanc. C’est vraiment étrange. Je pense que c’est parce que l’autre jour, on a reçu un texto. C’était l’ancien psy qui voulait que je lui laisse une note et un avis sur Google à propos de mon chemin thérapeutique avec lui, et je me suis demandé : qu’est-ce qu’on peut bien laisser comme avis sur son psy ? Je veux dire, c’est étrange non ? C’est vachement intime ce qu’on raconte à un psy, du coup, impossible de m’imaginer un avis à laisser. Ou si. Mais alors des avis comiques du genre : « Analyse basée sur la méthode win/win. Je soigne ma dépression en comblant ses besoins narcissiques ». Ou encore un grand message blanc avec écrit en bas en tout petit : « A réussi à me redonner confiance en moi ». Je trouvais ça hyper drôle. Puis j’ai évité de le poster parce que j’avais peur qu’il m’appelle pour m’engueuler et pour me rappeler que l’humour était un mécanisme de défense pour tenir les autres à distance. Et en songeant à ça, je me suis dit que décidément je m’empêchais de faire plein de trucs par culpabilité, parce que, s’il faut, il aurait trouvé ça drôle en fait. Je présuppose beaucoup des réactions des gens, tu trouves pas ? D’ailleurs, c’est lui qui m’a ouvert les yeux à propos de ça, alors forcément, je voulais plus me moquer. J’ai pensé à cet avis tout blanc, et c’est là que j’ai dû commencer à me rendre compte que cette absence d’idée, ben c’était exactement ça, le problème avec Ryan Gosling. Enfin, tu comprends ça, j’imagine.
Bien entendu que l’autre comprenait ça. Ça faisait des années qu’il le comprenait bien. Il comprenait ça tellement bien qu’il ne comprenait pas pourquoi il était en train de s’infliger ça. Pourquoi s’encombrer la tête avec Ryan Goslin alors que la vie est vaste après tout. Il est mille chemins inexplorés, mille incertitudes à affronter, mille espoirs et mille doutes à traverser. Plutôt que de rester sur cette histoire d’absence, il faudrait se lever, pour aller affronter tout ça à nouveau, pour se retirer Ryan Gosling de la tête. Haut les cœurs, courage au ventre et sonnons la charge, bordel de merde. Mais non, faut rester là, à l’écouter délirer sur les notions de vide et d’existence d’un acteur dont il n’a vu au fond que deux ou trois films. Alors, tu comprends, la vraiment je peux plus rester, il est temps pour moi d’y aller, c’est comme ça, je dois prendre mon tour quoi, on va pas passer la nuit là-dessus.
Oui bien sûr, excuse-moi je te mets pas en retard, mais comme ça me trotte, j’ai besoin d’en parler pour m’en débarrassé tu comprends. Je sais bien que tu n’as pas le temps, que pour toi tout ça ça recommence, mais faut prendre du temps aussi parfois pour du futile. Pour les interrogations de nulle part, c’est peut-être là-dedans que parfois né l’imaginaire, tu ne crois pas ? Non bien sûr, tu crois pas à ça toi, trop rationnel, trop dans tes plans, dans tes organisations. Regarde-moi, tout rempli de culpabilité et de mise à distance de l’autre, bien sûr que j’ai commencé comme ça. Mais tu as beau tout organiser bien avec des post-its de couleur et des effaceurs de stabilo, ben tu te retrouves fatalement par t’interroger sur l’existence de Ryan Gosling. Qu’est ce que tu veux que je te dise. Ça te paraît pas incroyable, ce milliard de choses futile qui te traverse la tête. Tu crois pas que y a quelque chose là-dedans. Un truc dont tu pourrais peut-être parler à ton nouveau psy. Tu pourrais lui demander à lui aussi s’il veut un avis, tiens ! En espérant que deux avis positifs ne font pas un avis inconscient. Non tu peux pas comprendre c’est des blagues de mathématicien-psychanalyste. Oui d’accord, moi non plus je sais pas ce que ça veut dire mais je suis pas mathématicien-psychanalyste. Je suis même pas sûr que ça existe vraiment. Pourtant ça ferait un métier du tonnerre. On psychanalyserait les nombres et les chiffres. Le 8 là, qui est probablement un maniaque. Le 4, pervers narcissique. Et le sept… un névrosé de première. Sans parler du zéro. Bref, je sais pas te le dire autrement, mais c’est ça, le problème avec Ryan Gosling.
La plupart du temps, je ne pense pas à Ryan Gosling. Oui, mais parfois mon dimanche soir parle avec mon lundi matin.
Vert carmin
Rouge bouteille et jaune souris
Le matin
J'veux pas voir le monde en gris
J'imagine
Sentir tes soupirs rougir
Toi, sanguine
Moi, daltonien du désir
J'ai encore des éclats
De couleurs mais parfois
Le temps s’essouffle et s'éteint
Blanche est la chevelure
Dans les premières fêlures
Du grand miroir d'étain
Le soleil
Qui caresse ton visage
Or vermeil
Un rayon rate son virage
Et me touche
Dans l’œil, il me faut m'enfuir
Sainte nitouche
Moi, daltonien du désir
J'ai encore des éclats
de couleurs mais parfois
Le temps s’essouffle et s'éteint
Blanche est la chevelure
Dans les premières fêlures
Du grand miroir d'étain
C'est étrange
J'ai pas l'sens de l'esthétique
J'suis orange
Dans mes nuit blanches éléctriques
J'suis perdu
J'crois que je me sens bleuir
J'suis écru
Moi, daltonien du désir
J'ai encore des éclats
De couleurs mais parfois
Le temps s’essouffle et s'éteint
Blanche est la chevelure
Dans les premières fêlures
Du grand miroir d'étain
Et j'éclate
J'ai plus la notion de l'heure
Écarlate
J'vois mille et une couleur
Apparaitre
Me pigmenter le zéphyr
Pour plus être
Un daltonien du désir
Fermer enfin les yeux
Pour voir bien pour voir mieux
les couleurs du dessin
Prendre le temps encore
D'voir en technicolor
Et sans miroir d'étain
Sur l'air de "La bande à Lucien" de Renaud
Ça fait quand même vach'ment bizarre
De t'retrouver ma pote Lucie
Tu dois t'faire chier au paradis
C'est pour ça qu'tu es passée m'voir
Tu sais depuis j'me suis calmé
Je n'vais pas t'rejoindre tout de suite
Car c'est fini pour moi les cuites
ça tu t'en s'rais jamais doutée
Et salut Lucie
T'as l'bonsoir de la bande
On a toujours les glandes
Sans toi ici
Franch'ment si tu voyais le boxon
Comment c'est la zone en c'moment
Si t'avais pas foutu le camp
T'aurais eu d'quoi faire des chansons
Parait qu'y a une navette sur mars
Pendant qu'sur terre, certains n'ont rien
Ah j't'ai pas dit pour Darmanin
ça c'est vraiment une triste Farce
Et salut Lucie
T'as l'bonsoir de la bande
On a toujours les glandes
Sans toi ici
J'ai plus de nouvelles de Tony
Mon frangin s'barre au Portugal
En pleine pandémie mondiale
Isidore a pas mal grandit
Avec Nico, on a vu Jeff
Ah oui lui, tu l'as pas connu
Pourtant c'est sûr qu'il t'aurait plu
Enfin j'sais pas, c'est quand même Jeff
Et salut Lucie
T'as l'bonsoir de la bande
On a toujours les glandes
Sans toi ici
C'est sûr on se voit moins qu'avant
Mais on s'est vu mardi dernier
On avait passé la soirée
A r'gretter qu'on s'voit moins souvent
On a tous de nouvelles excuses
Desolé, je garde le gamin
J'peux pas, je vois mon psy demain
Pardon j'apprends la cornemuse
Et salut Lucie
T'as l'bonsoir de la bande
On a toujours les glandes
Sans toi ici
Bon ben c'est l'heure moi je te laisse
On se recrois'ra un d'ces jours
J'dis au copains qu't'as dit bonjour
Et je leur transmets tes tendresses
Nous on dira du mal de toi
Juste comme ça juste pour rire
Pour pas s'emmerder à mourir
C'est bien la preuve qu'on t'oublie pas
J’ai voulu raconter une histoire. L’histoire d’un petit caillou tout pointu, tout pointu, qui rêverait d’être un beau galet tout rond pour faire des ricochets. Le caillou tout pointu rêverait de faire des ricochets, mais les autres cailloux lui ont dit « ben non tu peux pas faire des ricochets, tu es juste un caillou tout pointu, alors que pour faire des ricochets, il faut être un beau galet tout rond, les cailloux tout pointus comme toi, personne ne les prend pour faire des ricochets. Pour ça il faudrait que tu attendes, attendes que la pluie et le vent te lissent, te polissent, et délissent, faut que tu attendes que tes angles s’arrondissent si tu veux être un beau galet tout plat pour faire des ricochets. Alors le petit caillou, vous savez ce qu’il fait ? Et bien, le petit caillou, il attend.
Non, m’a dit Sally. Non, ça, c’est trop triste. C’est dans longtemps, on sera mort. Alors, je n’ai pas raconté cette histoire.
J’ai voulu raconter l’histoire de M.Amar qui à chaque fois qu’il revient du marché, fait dix pas puis pose ses sacs, s’arrête pour prendre son carnet, et note une idée. Et tous les gens qui le voient partir du marché, regardent monsieur Amar tous les dix pas, poser ses sacs, sortir son petit calepin, et noter une idée. Et les gens se demandaient : mais qu’est-ce que M.Amar, tous les dix pas, peut noter comme idée ? On ne lui connaissait aucune passion dévorante ni d’appétit littéraire. Mais chaque fois, avec ses sacs, tous les dix pas, crac, carnet. Un jour monsieur Amar est mort. Comme il n’avait pas d’enfant, les gens du quartier, curieux, ont aidé à débarrasser la maison dans l’espoir de retrouver les petits carnets de monsieur Amar pour savoir ce que tous les dix pas, crac, il notait. À vrai dire, on a fini par comprendre que M Amar les brûlait au fur et à mesure. Certains pensent qu’il s’agit probablement d’un chef d’œuvre, d’autres que M Amar avait simplement la sciatique et ne voulait pas le montrer aux gens du quartier. Mais ces gens-là ne connaissent rien à rien, ni à la littérature, ni à la sciatique et encore moins aux petits carnets.
Non m’a dit Sally. Non quand on ne sait pas c’est frustrant. Il n’y a pas d’étincelle. Alors je n’ai pas raconté cette histoire.
J’ai voulu raconter l’histoire d’un homme dans une chambre qui vivait avec un remords. Un immense remords. Il avait promis il y a longtemps, très longtemps à une fille dont il était amoureux de l’emmener au Portugal, à Viana do Castelo, et l’emmener sur la pointe la plus avancée. Il voulait faire tout ça parce qu’il avait promis qu’on pouvait voir l’Amérique depuis le Portugal. Et l’homme dans sa chambre contemple son remords, le voyage à Viana do Costelo qu’ils n’avaient jamais fait, alors c’était la fille qui était partie avec le temps, le temps ce salaud qui vous souffle toutes vos amours si vous lui laissez trop de place. Il n’avait jamais apporté la preuve qu’on pouvait voir l’Amérique depuis le Portugal, et il vivait avec cette absence de preuve comme un remords. Il n’avait jamais apporté la preuve qu’on pouvait voir l’Amérique depuis le Portugal. Tout simplement parce qu’on ne peut pas.
Non m’a dit Sally. Non quand on sait tout, c’est frustrant. Il n’y a plus de possible. Alors je n’ai pas raconté cette histoire.
J’ai voulu raconter l’histoire de Charles « One eyed Charlie» McRory, tête d’irlandais dur comme de la pierre , qui n’avait qu’un oeil, mais qui boxait mieux que Dieu avec les deux. Il voyait tout, cet homme-là depuis qu’il avait perdu la moitié de la vue. Il disait « comme ça, je ne vise que l’essentiel ». Pas moyen de le surprendre, de lui allonger une droite. Il ne frappait pas fort, mais à la longue, il les avait tous, y en a pas un dans sa catégorie qui pouvait le toucher. Il disait, pas besoin d’un bon punch quand tu sais esquiver. Il disait : pas besoin d’esquiver si tu es déjà à la bonne place avant même que l’autre ne fasse partir son coup. One eyed Charlie, soixante-sept kilos, 48 combats, 47 victoires aux points, 1 défaite par KO. Il n’a perdu qu’une seule fois. Même pas contre un boxeur professionnel non. Contre le pianiste du Murphy’s. En plus, ce n’était même pas sur un ring, c’était dans l’arrière-cour, quand One eyed Charlie un peu trop bourré avait voulu régler son compte à « Blindie Jack » parce qu’il refusait de jouer A rocky road to Dublin. Blindie Jack comme son nom l’indique, était aveugle. Et on raconte qu’après l’avoir étalé dans l’arrière-cour, Blindie Jack a dit à One eyed Charlie : « Tu ne vois que l’essentiel, mais l’essentiel, c’est déjà trop ».
Non m’a dit Sally. Non, il ne faut pas qu’à la chute de l’histoire, quelqu’un se retrouve au tapis. Il faut chuter comme une feuille. Simplement et avec élégance. Alors je n’ai pas raconté cette histoire.
J’ai voulu raconter l’histoire d’un écrivain qui fumait plus qu’une entreprise de traitement des déchets, et qui pour se motiver à écrire, se roulait une clope devant sa page blanche, puis se disait, mille mots, dans mille mots tu peux fumer, mais écrit d’abord tes mille mots. Parce que l’écriture n’est pas une question de qualité, mais de quantité, il faut écrire et réécrire un bon millier de fois avant de pouvoir sortir quelque chose de correct. Alors, sa clope roulée à côté de sa feuille blanche, il écrivait ses mille mots, les uns après les autres. De mille mots en mille mots, il a fini par faire un roman, puis deux puis trois. Il a rencontré un éditeur et puis le succès dans la foulée. Il a commencé à faire attention à sa santé, il s’est décidé à arrêter de fumer, mais il a gardé pour lui la dernière cigarette à portée de sa feuille blanche pour se motiver à écrire mille mots. C’était sa petite tradition. Il ne fumait pas, mais il gardait sa cigarette, et le briquet. Pour se rappeler qu’il faut écrire comme une envie de fumer. Bien sûr, il a perdu la cigarette. Et le briquet. Mais ce jour-là, il a ouvert sa page blanche, et il a raconté sa cigarette, et il a raconté son briquet, et il a raconté les mille fois mille mots qu’il avait écrits comme on fume.
Non m’a dit Sally, il ne faut pas commencer par l’habitude. C’est trop près, ça me fait peur.
J’ai voulu raconter l’histoire de Mac et Max qui s’aimaient depuis leur tendre enfance, et qui sont restés amoureux toute leur vie sans jamais un moment de doute. Et quand on leur a demandé quel était leur secret, ils ont répondu, « c’est qu’on s’emmerde très lentement. » J’ai voulu raconter l’histoire de Petit Jean et d’une fourmi qui firent la course pour savoir qui toucherait la lune en premier. Et qu’on n’a jamais su qui avait gagné. J’ai voulu raconter l’histoire d’un homme qui se trimballait toujours avec sa conscience sur son épaule droite ce qui lui faisait courber le dos, et lui donner une silhouette abattue. J’ai voulu raconter l’histoire d’un homme qui aurait voulu savoir dessiner un arbre, mais qui ne savait pas s’il fallait commencer par les feuilles, le tronc ou les racines, et selon l’avis de chacun, il recommençait en permanence.
Mais Sally ne voulait pas. Sally ne voulait pas d’histoire avec trop de mots. Sally ne voulait pas d’histoire qui finirait dans longtemps, elle ne voulait pas d’histoire qui joue avec le temps, qui joue de ces personnages. Sally ne voulait pas d’histoires pleine de silence et de non-dit, d’histoires pleine de souffrance ou de « on dit ».
Alors ce jour-là, je ne lui ai pas raconté d’histoire. Je lui ai offert une glace au chocolat. Elle l’a goûté et m’a dit : oui, cette histoire-là, elle est bonne ».
Le ragtime est la musique sur laquelle Dieu danse quand personne ne le regarde
Novecento, Alessandro Baricco
Ça se passe avant. Dans le temps. Dans un de ces moments où, vous savez, la ville n’est encore qu’un village, la nationale qu’un embryon de projet, un de ces moments où l’on peut encore entendre les chiens jouer au foot contre la porte de l’église accompagnés par les jappements joyeux des enfants.
Face à face, sur la place, il y a une église – vide – et un café – plein -.
C’est un drôle de troquet avec une enseigne en bois qui annonce la couleur « Mapple Leaf Café » . On y entre comme dans un moulin, et on pose, sans façon, son cœur et son cul sur de vieilles chaises branlantes. Sur les murs défraîchis, le portrait en noir et blanc d’un acteur depuis longtemps oublié regardait la photo de l’enfant prodige du pays en train de marquer un but pendant la demi-finale d’accession. Sauf qu’ici, ce n’est pas un but, c’est LE but. Et ici, on ne plaisante pas avec la religion. Les petites annonces débordent du tableau consacré, et si l’on est curieux, si l’on prend le temps, on pourra trouver une affaire à saisir pour une Honda 500 avec moins de 10.000 au compteur, ainsi qu’une excellente recette de tarte aux pommes, et un poème d’amour en russe que personne ne parle ici de toute façon. Au fond du bar, il y a un piano édenté, où un homme malingre égraine des notes comme d’autres construisent des cathédrales : patiemment, sans brusquerie, mais avec ferveur. Derrière le comptoir, il y a une moustache qui ne rigole pas du tout, et un regard qui vous happe comme pour vous dire : « Ici, c’est simple, c’est café-calva, demi de brune ou rhum arrangé, pour le reste, trouve ton chemin». Oui, c’est un drôle de troquet.
L’endroit est tenu par deux frères : le cadet qui y travaille et l’aîné qui n’y travaille pas. Celui qui y travaille – appelons-le George pour simplifier – est un homme d’une quarantaine d’années, qui porte fièrement un œillet à sa boutonnière et une casquette de marin, même s’il n’a jamais vu la mer. C’est lui qui a eu l’idée, c’est lui qui a demandé à son frère la moitié de l’héritage pour pouvoir ouvrir son lieu. Sa grande idée, son grand rêve, c’était de faire un cabaret des plus select, où des artistes du monde entier viendraient interpréter leurs morceaux de bravoure devant un public de connaisseur, quoique bienveillant. George avait voulu faire de cet endroit un des lieux les plus huppés de la région, ce qui expliquait, les fastes de la décoration de la scène, tout en dorures et arabesques, gros rideau de velours rouge et chandelle sur les tables.
Celui qui n’y travaillait pas – appelons-le George pour simplifier – n’avait aucune envie d’être là. Ce n’est pas qu’il n’aime pas la musique, au contraire. La musique, c’est un peu ce qui le dévore qui le consume, en permanence, et il ne sait pas quoi faire avec ça. Alors quand vient son tour de ne pas travailler, il prends un torchon, commence à essuyer des verres qui n’ont pas été lavés et écoute le pianiste égrainer ses notes. George était un homme d’une quarantaine d’années qui portait élégamment, un mouchoir à la boutonnière et un canotier, quel que soit le temps, bien qu’il n’ait jamais vu de tableau impressionniste. Pour lui, faire la gueule était la plus élémentaire des courtoisies quand un client passait la porte, d’autant qu’il ne travaillait pas là. Elle était à lui, la moustache qui ne rigolait pas, et c’était lui le regard qui vous happait.
Au piano, l’homme malingre qui égrène des notes – appelons le Georges pour simplifier- rêve d’un ailleurs. Mais on le paye pour égrainer, alors il égraine. George a une quarantaine d’années, de la route plein les pieds, du cirage noir sur ces chaussures et toute la vie devant lui. Il égraine, et il pense à sa femme, Bettina qui l’attend pendant qu’il égraine. Et il égraine les notes qui lui font penser à Bettina. Et chaque soir, c’est tout un chapelet d’amour qu’il égraine sous l’oreille de la foule bienveillante, mais qui s’en fout un peu à l’heure du troisième rhum arrangé.
En face du café, il y a l’église de Notre Dame de l’Appogiature. Dans l’église, il y a un prêtre -appelons-le George pour simplifier, qui a sa tête plein les mains, parce que sa tête est trop pleine du grand vide de l’église. Elle est pleine des souvenirs, de comment ça se passait avant. Quand le village n’était qu’un hameau, quand la nationale n’était encore qu’un chemin de terre, quand les chiens ne jouaient pas au foot et se contentaient d’aller téter leur mère. Dans le temps, quand il y avait un organiste pour égrainer des notes dans l’église, et que les fidèles venaient avec joie le dimanche pour écouter son sermon. Le prêtre a la tête trop pleine de tous les sermons qu’il a sur le cœur, la tête trop pleine de tous les mots non-dits.
Dans la maison à côté de Notre Dame de l’Appogiature, il y a une vieille femme. La mère du père. Elle aussi a les mains pleines, pleines d’innocence. Elle ne sait pas quoi faire de toute cette innocence qui lui colle aux doigts. Elle essaye régulièrement d’en donner aux chiens qui jouent au foot contre la porte de l’église. Les chiens, qui ne sont pas chiens, acceptent pour ne pas lui faire de peine, et finissent par aller l’égarer sous le petit pont de la rivière qui passe dans les contrebas de la ville. Un jour par curiosité, elle a traversé la place, et elle est rentrée dans le Mapple Leaf Café. La moustache qui ne sourit pas l’accueillit en bougonnant, et s’installant au premier rang, elle a écouté l’homme malingre qui égrainait son amour pour Bettina. Elle a écouté cet homme, et toutes les notes lui rappelaient les mots que son fils avait de trop dans sa tête. Depuis tous les soirs, elle vient au premier rang, et quand le concert est fini, elle va trouver l’homme malingre, lui pose sur le piano un bout d’innocence en guise de paiement, et lui demande, invariablement tous les soirs : « Va jouer des histoires à mon fils ».
Georges, l’homme malingre, aimerait bien faire plaisir à la vieille, mais il ne peut pas retourner à l’église. Il ne peut pas y retourner à l’église, parce qu’il en vient. Dans le temps, il était organiste, tous les dimanches, il faisait venir du monde. Mais il en avait sa claque des cantiques et des chants liturgiques. Lui, il voulait enflammer des cœurs en chantant son amour pour le cul de Bettina. Mais on ne peut pas dire cul, dans une église. Alors quand George, celui qui travaille, était venu le trouver, pour lui proposer de jouer dans son établissement, tous les soirs, nourri et payé, il avait refermé le clavier de l’orgue, s’était retourné vers le crucifix et avait dit : Salut Dieu, ta maison elle sonne bien, mais il faut que j’aille faire bouger des culs, chacun sa croix comme tu dirais. Sans rancune hein. Et il était parti. Il n’a jamais su si Dieu lui avait gardé rancune ou non. Mais il ne préférait pas remettre les pieds dans l’église. Il ne savait pas si Dieu était du genre rigolard, ou du genre de la moustache qui ne rigole pas quand elle travaille derrière le bar.
S’il jouait tous les soirs au Mapple Leaf café, à faire bouger des culs et tourner des têtes, c’était parce que George était follement amoureux de Bettina. Alors tous les soirs, il faisait jouer le mari pour faire la cour à sa femme.
Bettina, tous les soirs, acceptait avec amusement les faveurs et ferveurs, affusion et sentiments, démonstration outrancière de passion et petits mots de plus en plus gros. Tous les soirs, elle écoutait George lui faire la cour en bas de son balcon, pendant que son mari George chantait la beauté de son cul pour faire danser celui des autres. Tous les soirs, elle l’écoutait patiemment. Ne disait rien, se contentait de sourire, et puis refermait sa fenêtre et retournait à son éternel crochet en écoutant à la radio une émission où l’on s’interrogeait sur ce que devenait le monde. Bettina se foutait bien de ce que devenait le monde, elle avait les mains pleines de crochets et d’innocence.
George le mari était au courant, bien sûr, mais ça ne le dérangeait absolument pas vu qu’il avait du travail garanti tous les soirs. Quand arrivait son heure, il mettait son habit de pianiste, se rendait au Mapple Leaf café. Quand George le voyait arriver, il réajustait son œillet à la boutonnière, laissait les clés de la maison à son frère George pour qu’il ne travaille pas, et allait tenter de conquérir le cœur de la belle Bettina.
À force de ne pas travailler en écoutant l’homme malingre, George s’est consumé dans la musique. Un matin n’y tenant plus, il est rentré dans l’église vide, et a commencé à jouer sur l’orgue paroissial. Dans ses mains il y avait tout l’amour du monde, et plus les notes s’égrenaient, et plus la moustache acceptait de sourire. Un peu comme ça pour voir d’abord, puis plus franchement, jusqu’à ce que lui viennent des idées qui provoquaient le rire, il commençait à chanter le cul de Bettina, qu’il n’avait jamais vu, mais que son frère, chaque fois qu’il rentrait de sa cour, lui décrivait en détail par le menu. Et ça l’amusait George de chanter ça dans la maison de dieu qui sonnait si bien.
George un jour quand son morceau fut enfin prêt, le joua à son frère, qui reconnu sans l’ombre d’un doute le cul de Bettina. Le soir même, pendant que George était en train de jouer, il fit venir un piano en bas du balcon, et se mit à jouer. Et pour la première fois Bettina le regarda, et descendit. Ils sont sortis, ont marché longtemps, sans rien se dire, puis à un moment ils se sont assis, parce que pour ne rien se dire c’est quand même plus confortable. Ils se sont assis sous le petit pont de la rivière qui coulait en contre bas de la ville. On dit que c’est là qu’ils ont égaré leur innocence.
Et quand George ce soir là vit la mère du père poser un bout de son innocence sur le piano et lui dire : « Joue des histoires à mon fils », il ressentit comme un élan de regret. Alors il rentra dans l’église, regarda le visage du Christ, et senti tout un tas de mots, un tas de mots qui vint se bloquer dans sa tête. Et il aurait voulu, le dire, le crier au monde entier. Et puis il entendit George en train de jouer, de jouer une musique qu’il ne connaissait pas. Alors il eut envie de poser ses mots par dessus. George ne s’arrêtait pas de parler pendant que George ne s’arrêtait pas de jouer. Ça a fait tellement de bruit que les gens du Mapple Leaf café ont commencé à accourir. Dans le café, il n’y avait plus personne.
À part George, qui décida devant le lieu vide d’en faire un des lieux les plus huppés de la région. Avec des dorures et des arabesques, et un piano sur la scène.
Mais ça, ça se passait avant. Dans le temps d’avant.
J'habite impasse de l'avenirSous le pont des Soupirs
Car chaque jour insoupçonné
Je me tue à la tâche
Pour faire éclore sans une tâche
Une palette renouvelée
C'est vrai que tout le jour je m'échine, sur des machines en zinc
à faire des magazines à la chaîne remplis de truc et de machin
Cousu de rêves made in china
du frisson vain, t'en veux, voilà
Je fais de la fièvre effervescente et de la fureur incessante
des émanations enivrantes, et de la jouissance insouciante
Tout ce qu'il faut pour te faire tourner la tête, pour te faire taire ta gueule
Pour combler ton horizon, j'fais les trois-huit à mois tout seul
Je fais de la guimauve au kilomètre
Du sucré jusqu'à l’écœurement
Pour le bon plaisir de nos maitres
Mais j'ai au cœur un serrement
J'habite impasse de l'avenir sous le pont des Soupirs
Quand trop attaché, j'arrive à m'échapper
Je fuis sur un bout de terre, sur mon petit lopin
En puisant l'encre dans mes artères, je cultive dans mon jardin
Les émotions qui manquent à mes contemporains
Nouveaux émois, et moitié beaux
Benêt, benoit, béat, pieds bots
La graine qui germe il faut l'entendre
tendre l'oreille l'entendre fendre
faut l'écouter éclore en éclair
plus vivace et sauvage que mille et une rizière
Une rivière de larmes coule sur un cœur de pierre
Des mille maux de ce drame, je ferais mille mots extraordinaires
Je fais pousser à la paresse, je cultive de la nonchalance
J'ai mis à macérer des rires pour ton prochain jour de chance
J'écris ce que je crois de vous, je fais croitre des métaphores
Vois, le petit faible que tu as pour elle devient de plus en plus fort
Tu en es ébahi, esbaudi, plein de fougue et de feu
Ravi et joyeux, tu as d'la vie au coin des yeux
Allez, vas, vis et vite, dévisse et deviens dingue
Nul besoin d'être Miles Davis pour devenir baltringue
J'habite impasse de l'avenirSous le pont des Soupirs
Je plante des regrets, des drames et des sanglots
C'est un peu paradoxal, mais il faut beaucoup d'eau
Pour faire fleurir des flammes,
des larmes dont tu es le seul proprio
Pas de passions de bas étage, mais de la rage à l'état pur
De la hargne brute qui n'épargne aucun futur
D’insensés incendies te traversent, te voilà devenu averse
Plein de tendresse qui berce, même pour la partie adverse
Je sème aux quatre vents, et quand vient l'aube je laboure
pour enterrer par tous les temps un embryon d'amour
Je repique du trèfle, je bêche pour ceux qui sont sur le carreau
Plein d'indicible et d'ineffable, je fais des fables
Pour tous ceux qu'on a dépossédés de leurs mots
Je fais fleurir ce qu'on ne dit pas, mais pas pour faire des bouquets
Plutôt des chardons que je m'empresse d'aller planquer
Dans les jardins qui sont bien trop rangé aligné
sans chiendent ni chien lit, sans allégresse aigre douce
où les plantes sont trop lisses, ou les fleurs sont trop douces
Partout là où je passe, je te jure que l'herbe repousse
J'habite impasse de l'avenir sous le pont des Soupirs
Et quand l'envie me prend, je pousse des cris de déments
Contre les charmeurs de sabre, les avaleurs de serment
Je suis la colère qui gronde des rêves d'ouvriers
Je suis l’éleveur de sentiment sur la grève oublié
‘Dmettons un homme. Sur le quai d’une gare. En train de fumer une cigarette. Et tant qu’à faire pour aller dans le cliché, ‘dmettons qu’il a un chapeau mou, un pardessus gris et l’air chiffonné. Tant qu’à y aller, autant le faire carrément. Et rajoutons une clarinette jazz par-dessus. Pas peur. Un truc à la Sydney Bechett. Pas vraiment triste mais nostalgique un peu. Pis ‘dmettons que ce soit en noir et blanc. Genre film noir de la grande époque. Que de temps en temps, il jette un oeil vers l’horizon. Et pis il mate sa montre aussi. C’est le genre de détails en général qui en rajoute. Qui rajoute quoi à quoi, on ne sait pas mais on se dit que ça en rajoute, alors c’est tout ce qui compte.
On se dit, il attend quelqu’un, une femme certainement. On se dit, elle doit prendre le train avec lui, il lui a donné rendez-vous. Mais le train va arriver et la femme n’est pas là. Alors, ça le chiffonne. Alors, il fume. ‘Dmettons. C’est la fin du film, on en est certain. La fille va finir par se pointer. Ou ne pas se pointer. La différence entre tragédie et comédie. La fille se pointe ou non et on sait à quel genre le film appartient. ‘Dmettons que la fille se pointe. On se dit qu’on est dans une comédie.
Sauf que… ‘Dmettons que la fille n’est pas en robe rouge, mais en combinaison spatiale. Genre ultra moderne. Avec des boutons qui clignotent. Et des antennes. Super important ça, les antennes. Ça en rajoute. On se redresse un peu dans son fauteuil, on se dit tiens original, je ne l’ai pas vu venir. On se dit, bon en fait c’est un classique du film de S.F. Un truc de voyage dans le temps sûrement. Et la fille en combinaison spatiale est en fait la fille de l’autre, de celle que l’homme attend. Bon. ‘Dmettons. Elle a un message à transmettre. Mais voilà qu’elle se met à courir. La fille court vers l’homme de la gare comme pour le prévenir d’un danger. Elle crie. ‘Dmettons que l’homme se retourne. Là il dégaine un colt qu’on n’avait pas encore vu. Et il tire sur des confédérés en tenues grises cachées sur les toits. Il laisse parler la poudre. Y a des morts partout. Qui tombent du train. On se dit, comment ils vont faire après pour le train. Ça va être dégueulasse s’ils doivent rouler dessus après pour partir.
Mais ils ne partent pas. L’homme regarde la fille qui est aux prises avec une bombe atomique que les confédérés avaient amenée avec eux. Et il ne leur reste plus que trois minutes avant que la bombe explose. On se dit que trois minutes, ce n’est pas bien long, mais que normalement ils devraient avoir le temps. ‘Dmettons.
La fille en combinaison spatiale met les fils à nu. Elle va très vite pour les dégager mais l’horloge tourne. L’homme au pardessus gris lui doit maintenant faire face aux confédérés qui se sont relevés d’entre les morts. On se dit, ouf, pour le train ce sera plus simple, c’est toujours ça de réglé. L’homme au pardessus affronte les zombies avec une tronçonneuse. On se dit qu’il a dû astucieusement la planquer dans son pardessus justement. ‘Dmettons.
Pendant ce temps, la fille finit par désamorcer la bombe et vu que l’homme n’a pas l’air de s’en sortir, elle appelle à la rescousse tout son équipage. ‘Dmettons qu’en fait elle était capitaine d’une bande de pirates de l’espace, ce qui explique sa tenue. Et grâce à son pistolet laser, elle finit par abattre tous les zombies. Mais la bombe qu’elle croyait avoir désamorcée relâche une énorme fumée. C’est le génie de l’atome qu’ils ont relâché malgré eux. Faut toujours une péripétie finale avec un méchant encore pire que les précédents. C’est normal. Ça en rajoute. L’homme et la femme sont obligés de mettre en commun leurs forces telluriques pour arriver, après une série d’incantation fort complexes et intranscriptibles, à enfermer le génie de l’atome dans une bouteille, qu’ils vont jeter à la mer. On se dit qu’ils n’ont pas conscience des conséquences terribles que ça pourrait avoir sur l’avenir. ‘Dmettons qu’un naufragé trouve cette bouteille. Ce serait désastreux. Mais on se dit que d’ici une heure ou deux, ce seront peut-être eux les naufragés, donc pas de raison de s’en faire. La preuve, c’est qu’ils ont pris le train. On n’est jamais à l’abri d’un accident des chemins de fer, c’est vrai. Mais pas avant le goûter ça c’est certain. On se dit que les compagnies de chemin de fer prévoient drôlement bien leurs accidents.
On se lève, on se demande un peu comment ça va finir. Mais on se dit qu’en fin de conte, ils vécurent enfants et firent beaucoup d’heureux.
Ce qui fait d’elle une papophobe, une iatrophobe et une hexakosioihexekontahexaphobe. Didou n’a pas vraiment peur du nombre 666, mais elle aime bien être hexakosioihexekontahexaphobe.
Mais pour la menthe, il n’y pas de mots.
On ne peut être menthophobe ou misomenthia comme on est arachnophobe ou misandre
Ça n’existe pas et Didou trouve ça dommage
Non seulement elle n’aime pas la menthe, mais Didou n’aime pas l’absence de mot pour dire son désamour de la menthe.
Même le mot menthe la dégoûte.
Le mot menthe est menteur, on le sait bien.
Le mot menthe annonce de la fraîcheur et une pointe de douceur, mais en réalité il est envahissant, comme la menthe elle-même qui s’insinue partout, dans le taboulé discrètement, et puis c’est dans le thé, dans le chocolat, et même dans le dentifrice. Le mot menthe ment tout le temps, à chaque moment, et Didou ne sait pas comment le dire.
Didou a pourtant lu des dictionnaires, des tonnes et des tonnes de dictionnaires, de synonymes et d’antonymes, elle a ressorti son Bailly et son Gaffiot pour voir si des fois dans l’étymologie elle ne pourrait pas trouver de quoi néologiser. Mais Didou sait bien qu’on ne néologise pas comme ça, il y a des principes, que personne ne connaît, mais que tout le monde applique. Comment faire prendre un mot, pour un moment, un long moment ? Didou ne sait pas et pourtant Didou est agrégée de lettres modernes après avoir passé une thèse sur l’utilisation du paragraphe chez Flaubert. Trois cent quarante-quatre pages, sans compter les annexes et les remerciements, mais elle ne sait toujours pas vraiment comment on néologise.
Pourtant, elle en voit tout les jours des mots nouveaux, qui apparaissent comme ça l’air de rien. On a l’impression qu’ils se sont inventés tout seuls ces mots-là. Comme s’ils avaient toujours été là, comme si on les avait simplement découverts. Mais Didou sait bien que ça ne fonctionne pas comme ça. Elle voit tous ces nouveaux mots apparaître et elle n’aime pas tellement ce que ces nouveaux mots racontent du monde : Uberisation, selfie, buzz, burn-out, coworking, democrature, infox, jober, starteuper, sans-abrisme, disruptif.
Didou n’aime pas la menthe, le mot menthe et elle n’aime pas trop le monde. D’ailleurs Didou n’aime pas tellement les gens, Didou est un peu misanthrope.
Et Didou n’aime pas qu’on lui parle comme à une gamine de dix ans, parce que Didou en a cinquante-six et elle conduit des gros camions, elle charge et décharge en gros et demi gros, Didou pourrait t’écraser la tête comme ça, pour rien, juste parce que tu lui parles mal. Les biceps de Didou font deux fois ta tête, alors garde-la bien en place, et ne vient pas faire chier Didou quand elle cherche à néologiser, non, mais merde quoi ! Et puis parce qu’on est agrégé en lettres modernes et qu’on a fait une thèse sur le paragraphe chez Flaubert, on ne peut pas conduire des gros camions ? On ne peut pas livrer en gros et demi gros, c’est ça ? Didou s’en fout, Didou te tarte la gueule si elle a envie, elle t’asmate comme rien, alors remballe ta guimbarde du canada et commence pas à lui courir les fraises. Parce que Didou connaît la langue verte, et elle ne s’en laisse pas conter. Tu crois quoi ? Que c’est son premier néologisme ! Abruti va ! Avance donc au lieu de croire des conneries pareilles, t’es aussi bouché que le périf parisien les jours d’allégation présidentielle. Didou a la langue asphalte, et l’asmate si elle le veut, mais elle sait qu’un néologisme, c’est un désir qui n’a pas encore rencontré sa langue. Et Didou s’y connaît en désir.
Elle a pratiqué dans le haut de la cabine de son gros camion. Elle a pratiqué avec des étudiants en lettres, des roadies, des VRPs, des employés des assurances, des employés de la poste, des princes somaliens et même une fanfare comme ça pour essayer un jour qu’elle se faisait trop chier à comprendre comment mettre du désir sur le bout de langue. Et puis quand elle n’a personne à se mettre sous la langue, Didou lit. Des livres achetés dans des gares qui parlent de passion brûlante entre de riches héritières et de beaux ténébreux quelque part sur une plage à Acapulco. Didou ne sait pas vraiment où est Acapulco, mais elle sait que c’est loin et qu’il y a des riches héritières et des beaux ténébreux. Didou ne se cache pas pour lire ce genre de choses. Même si on s’étonne et on chuchote sur cette agrégée de lettres modernes spécialiste ès paragraphe flaubertien, conductrice de gros camions qui livre en gros et demi gros et qui lit des histoires de midinette. Didou travaille son vocabulaire amoureux et elle aime ces mots-là, des mots qui glissent le long de ses cuisses, de son ventre, de son sexe. Ce sont des mots qu’elle lèche, qu’elle mordille, qu’elle embrasse, qu’elle avale, qu’elle caresse, qu’elle pince, tortille chatouille, pétrit, malaxe, branle, pénètre, suce, frôle, effleure, léchouille, mord, respire. Et elle aime ça. Au moins les belles héritières et les beaux ténébreux n’aiment pas la menthe. En général ils sentent la vanille.
Didou n’a rien contre la vanille, mais ça a tendance à la rendre nostalgique, ça lui fait penser à sa grand-mère. La nostalgie et le désir sont un peu incompatibles, alors Didou évite les scènes où il y a de la vanille, sinon elle pense à sa grand-mère qui elle aussi détestait la menthe et ne pas avoir de mots pour le dire. Pourtant la grand-mère de Didou, des mots elle en disait plein, des mots pourtant nouveaux, pourtant anciens, mais toujours nouveaux, des mots comme congés payés, patriarcat, droit de vote, lutte des classes, instruction. Didou devait avoir de l’instruction disait sa grand-mère, et Didou a eu de l’instruction flaubertienne, mais aussi camionesque.
Didou sait bien que camionesque n’existe pas, mais comment se retrouver dans tout ce bazar dans les milliards de mots qui nous manquent quand on veut dire ce qu’on veut dire, alors on tourne autour du pot, on essaye de dire qu’on n’aime pas la menthe parce que c’est ce que la menthe représente, c’est l’envahissement qui ne laisse plus la place aux autres odeurs, aux autres saveurs, c’est la mort de la diversité.
En réalité, on cherche toujours à dire ce qu’il y a derrière le mot, et pour ça aussi il y a un mot, ça s’appelle la connotation. Didou aimerait connoter la menthe pour prévenir le monde entier de l’abyssale saloperie de la menthe qui fait que le périf se bouche à dix-huit heures pile à la fin de sa journée, quand elle voudrait rentrer tranquille chez elle en week-end, réfléchir à de nouveaux mots pour essayer de mieux dire le monde.
Alors au volant de son gros camion, entre un paragraphe flaubertien et une harlequinerie, Didou nage dans un océan de mots qu’elle prend plaisir à observer. Comme une nuée ou un murmure d’oiseau, les mots se déplacent en grappe. Didou aimerait bien tous les connaître, parce que sa grand-mère disait que celui qui a tout le vocabulaire du monde ne peut pas tout à fait être malheureux. Didou n’est pas tout à fait d’accord avec sa grand-mère, Didou est analphabète, oui même agrégée en lettre, elle a l’impression d’être toujours analphabète, d’avoir un langage que personne d’autre ne comprend et surtout de ne jamais le comprendre, jamais.
Alors Didou se noie, Didou boit la tasse, Didou n’en peut plus, elle ne sait même plus par quoi commencer. Mais Didou n’est pas du genre à se laisser abattre.
Alors Didou se relève, fait craquer ses jointures, et elle attend.
Didou ne sait pas ce qu’elle veut faire quand elle sera grande.
Quand on a fêté en janvier
Dernier l'entrée en 2020
Après l'année qu'on v'nait passé
Celle-là, j'la sentais super bien
Une bonne nouvelle pour commencer
Une espèce qu'on dit disparue
Aux Galapagos observées
Sûr ce s'ra l'année d'la tortue
C'est en Écosse en février
Qu'ils prennent une bonne résolution
Ils ont voté la gratuité
Des serviettes et puis des tampons
Je n'peux pas m'empêcher d'penser
Que ça chang'rais vachement plus vite
Il y aurait même des congés
Si tous les hommes saignaient d'la bite
Au mois de mars dans l'Dakota
Les Sioux ont remporté la lutte
Et devant le Conseil d'État
Ils enterrent un oléoduc
On a tendance à oublier
qu'on ne perd pas à tout les coups
La lutte finit parfois par payer
Si tu pouvais me prêter des Sioux
Une année d'plus dans l'hexagonePas de quoi me rendre dépressifMais chaque fois ça fout la zoneQuand je dis que j'suis positif
On leur a dit au mois d'avril
Que l'air s'était amélioré
Dans les campagnes et dans les villes
On cherche la cause de l'effet
Alors puisqu'on est confiné
J'en profite pour m'faire de la pub
J'fais une goguette sur mon cellier
J'ai fait que sept vus sur YouTube
J'ai eu beau chercher au mois de Mai
J'ai pas trouvé de bonnes nouvelles
Enfin on est déconfiné
Avant qu'ça reparte de plus belle
Comme tous les bistrots sont fermés
Que j'me fais chier comme un rat mort
J'bois sur l'parking d'l'Intermarché
Histoire de changer de décor
Quand en Chine au mois de Juin
Ils se décident à retirer
Des médicaments l'pangolin
Maint'nant c't'une espèce protégée
Pour éviter les extinctions
Vous écolos de bonne foi
Faites courir le bruit, c'est pas con
Qu'il y a un cancer du panda
Une année d'plus dans l'hexagoneJe sais pas vous, mais moi ça vaCar j'ai encore quelques bonnesNouvelles pour les six prochains mois
Au mois de juillet au Soudan
Réjouissance et jubilation
Z'ont décidé,il était temps
D'interdire toutes les excisions
C'est un petit pas en avant
Mais on peut toujours en faire plus
En condamnant les contrev'nants
À se faire recoudre l'anus
Au mois d’Août toujours en Afrique
Sans un Ourrah sans un Bravo
L'OMS a rendu ses chiffres
Éradication d'la polio
Un vieux virus enfin détruit
Quand un nouveau lui prend son kiff
Oui c'est l'histoire de la vie
'Tain c'est beau comme du Jimmy Cliff
En septembre dans le téléviseur
J'entends causer Jean Pierre Pernault
Il va arrêter le treize heures
Putain j'en bouff'rais mon chapeau
J'ai pas été aussi content
Depuis maint'nant deux ans tout ronds
Quand j’eus appris incidemment
Qu'Michel Sardou f'rait plus d'chanson
Une année d'plus dans l'hexagoneMais pourquoi vous faites la gueuleD'accord maint'nant avec les dronesC'est plus possible de foutre le zbeul
En octobre on y croyait plus
On a de quoi vraiment être fier
Grâce au Honduras à Nauru
Fini les armes nucléaires
Bon certes il y a les pandémies
Mais c'est un tout autre niveau
Au moins quitte à perdre la vie
Notre apocalypse sera bio
En Égypte au mois de novembre
On trouve plus de cent sarcophages
Pour les historiens qui y rentrent,
ça ressemble à un mirage
Moi qui suis optimiste comme pas un
je me pose quand même la question
Est-ce qu'pour la fin de 2020
On a b'soin d'une malédiction
En décembre, c'est vraiment l'panard
Élections aux États-Unis
On dit au r'voir au gros canard
Peroxydé on se réjouit
Dans les médias on p eut le voir
Affirmer que c'est lui le king
Mais qui aurait pu donc prévoir
Qu'il ramen'rai ces potes vikings
Une année d'plus dans l'hexagoneFranchement je n'y croyais plusSi 2020 à la couronneJe crois qu'on n’a encore rien vu